Gregg Araki a souvent été réduit à un portrait d’enfant terrible du cinéma indépendant américain qui aura pris son envol avec sa Trilogie de l’Apocalypse Adolescente. Il faut dire que dans l’Amérique de la fin des années 80 et du début des années 90 (George Bush père est alors au pouvoir), être un réalisateur gay qui met en scène la jeunesse en marge de son pays lancée dans une course à bride abattue dans la drogue, le sexe (on est alors en pleine épidémie du SIDA, certains films d’Araki reviennent très clairement dessus) et une certaine forme de violence n’était pas vraiment fait pour séduire les chantres de la pudibonderie et du puritanisme. Si les films d’Araki sont durs, il s’en est toutefois toujours dégagé un regard non dénué de compassion et de bienveillance envers une génération que l’on aura tôt fait de qualifier de cynique et de nihiliste (la fameuse génération X).
Mysterious Skin arrive alors que le cinéaste a déjà réalisé sept longs métrages et semble commencer à faire du surplace. Il s’agit sans doute de son film le plus âpre (âmes sensibles s’abstenir) mais sans doute aussi le plus tendre et sensible. L’histoire est, elle, relativement simple : deux adolescents d’une petite ville américaine tout ce qu’il y a de banale et d’ennuyeuse, se trouvent liés sans se connaître par un traumatisme issu de leur enfance malmenée. Cet évènement qui les poursuit tous deux de manière différente finira par faire converger à nouveau leurs trajectoires cabossées vers un épilogue dans lequel la résilience qui semble impossible sera la seule voie de salut. Araki y dévoile finalement une profondeur d’âme que l’on soupçonnait mais qui ne s’était jamais exprimée de façon aussi directe. Le magnifique score de Robin Guthrie (Cocteau Twins) et Harold Budd et la sélection de titres toujours reconnaissable d’Araki (on pense notamment à la superbe reprise du « Golden Hair » de Syd Barrett par Slowdive en ouverture) enfoncent le clou de ce qui restera probablement son œuvre majeure.